Volem rien foutre al païs

Publié le par zarzuela

Feignasse power


Volem rien foutre al pais, film de Pierre Carles, s'inscrit dans la lignée du documentaire à thèse, pour ne pas dire à charge. Son propos est simple : le travail, le salariat, le capital (tout ça kif-kif pareil), c'est mal. C'est très mal. Ouh là oui. Alors, il faut cesser le travail, qui tous par trop nous fait ressembler à Sat..euh, pardon, à Sarko. Alors, il nous faut aller vivre dans des communautés trop sympas et passer nos journées à faucher des champs, traîner du bois, charrier des bottes de paille, vider des poubelles de litière pleines de caca et de pipi humains, bricoler des pompes à eau et tuer des cochons. Bien entendu tout ceci ne saurait être aliénant. Bien entendu toutes ces activités ne sauraient entretenir avec le travail la moindre relation de similitude. Je pouffe.



Journaleux poil aux yeux

Pierre Carles avait pourtant avec « Pas vu pas pris » commis un documentaire bien malicieux sur la nature incestueuse des liens entre journalistes et hommes politiques français. C'était un sujet casse-gueule, non en ce qu'il aurait révèlé une vérité cachée et ignorée de tous, mais justement en ce qu'il enfonçait une porte grande ouverte. Qui en France, seul pays où un PPDA pris en flagrant délit d'interview bidonnée peut impertubablement rester titulaire de sa carte de presse et continuer à poser son auguste séant sur la chaire du 20H, démocratie où des journalistes en place sont aussi épouses officielles d'hommes politiques, qui franchement nourrit encore la moindre illusion sur le sujet ?

Pourtant, le documentariste avait perfidement réussi à mettre à jour le vrai visage de ses collègues journaleux, en montrant, non d'extraordinaires trahisons, mais les petits arrangements au quotidien qui constituent pour eux comme une seconde nature. Car l'exigence professionnelle du journalisssssse, qui n'en peut plus de fréquenter les grands de ce monde, consiste surtout à ne pas les fâcher pour ne pas perdre les prérogatives liées à l'exercice de son glorieux métier.

L'arrogance, la morgue, le cynisme paternaliste, le manque d'intégrité intellectuelle des pisse-copies français, l'absence de toute volonté d'investigation étaient pointés par petites touches qui, eh oui, il faut le dire, nous mettaient bien du baume au coeur. Quant à « Enfin pris », ce dézingage boum-boum-tchak-tchak-tchak de Daniel Schneiderman en justicier et pseudo-décrypteur de l'info télévisuelle nous avait réjoui également la rate et le cerveau, tout comme le simulacre de psychanalyse mis en scène par le réalisateur pour régler ses comptes avec celui qui par le passé avait été son maître.


Plût au ciel néanmoins que Pierre Carles se fût livré au même exercice de désidéalisation (désacralisation ?) avec Pierre Bourdieu ! Car il semble bien que le sain déboulonnage mentionné ci-dessus ne se suffise à lui-même et que Pierre Carles ait toujours besoin d'une main qui le guide lorsqu'il régle ses comptes. Cette main, c'est celle de Bourdieu, en place de père et de saint esprit. Un des opus de Pierre Carles, « La sociologie est un sport de combat », est donc comme son titre l'indique, un film de pure idéologie bourdivine. Que le maître soit Bourdieu ou Schneiderman ne change rien à l'affaire : selon toute apparrence, Pierre Carles a besoin d'une référence extérieure incarnée qui lui indique quoi penser. Phénomène qui fait de lui un militant, au vrai sens du terme.


Moines-soldats

Et militant, ami lecteur, vient du latin militare, qui veut dire « être soldat, faire son service militaire ». Las ! Y aurait-il donc si peu de différence entre le bête troufion soumis à son caporal-chef et l'alter-trucmuche vociférant sa révolte contre la société ? Pour mieux enfoncer le clou, on apprendra avec plaisir que le terme, d'origine guerrière, relève aussi de la théologie, puisqu'il désigne « l’Église qui combat, les membres de la milice du Christ. » Foutredieu ! On devrait plus souvent faire appel à l'étymologie, on comprend mieux les choses...

Notamment pourquoi la bonne parole des militants nous gave, exactement comme nous gavait celle des dames un peu coincées qui nous faisaient le catéchisme...Notamment pourquoi les alters de tous poils, ne leur en déplaise, partagent bien plus qu'ils ne croient avec les catholiques qu'ils aiment tant honnir : promesse d'apocalypse sur fond de réchauffement climatique, croyance en un autre monde (meilleur et à venir), manichéisme rigide qu'entre parenthèses même un catho ne se permettrait plus, rhétorique fondée sur l'anathème et la culpabilisation.

Nul doute que Nietzsche sorti de sa tombe en ferait ses choux gras, et n'hésiterait pas une seconde à nous remplacer Saint Paul par Saint José Bové...



Rien foutre

Revenons donc à « Volem.. », film dont l'épine dorsale, la chair et l'esprit sont résolument militants, consacré aux épigones des Lafargue, Proud'hon, Fourrier, et Marx. Notons que ces héritiers, contrairement à leur maîtres, n'écrivent rien. Leur mot d'ordre consiste essentiellement à rejeter en vrac travail, salariat, et argent. Enfin, disons qu'ils en veulent surtout au concept d'argent, ce qui n'est pas exactement pareil : j'imagine qu'ils ne cracheraient pas sur un gros bifton trouvé dans la rue ou glissé par mémé Simonne dans la poche de leur treillis, ni sur un loto gagnant.

Le montage nous présente une alternance de moments où très clairement il convient de huer (discours de Pom-pom-pidou, Sarkozy, Ernest-Antoine Sellières ...) et de moments où tout aussi clairement il nous faut approuver. Entre le noir-noir et le blanc-blanc, choisis ton camp camarade. Cette forme très manichéenne correspond absolument au dualime bêtouille du propos : le mal rime avec capital, le bien avec ..euh...foutre rien.


Alors, que les choses soient claires : j'ai moi-même pour le travail une saine aversion, et ce, depuis mon plus jeune âge. Les malheureux qui avaient la gentillesse de m'embaucher pour quelques boulots d'été dans de quelconques bureaux le regrettaient amèrement, n'ayant en face d'eux qu'une jeunette ingrate et obtuse qui s'est par la suite toujours tenue à son refus de l'aliénation laborieuse.

Le propos général de volem, donc, ne me dérange pas, en ce qu'il se fonde sur une évidence : passer le tiers de son temps à oeuvrer pour augmenter le chiffre des ventes chez Pampers constitue un sacerdoce dont le sens m'échappera toujours. Nous sommes bien d'accord. Ceci dit, nul n'est tenu à quoi que ce soit, et chacun a le choix. A l'individu, une fois qu'il sait à quoi s'en tenir sur son propre désir, de se débrouiller avec le réel pour satisfaire ses besoins ET ses aspirations, sans plier sous le joug de l'abrutissement laborieux.

Le sujet n'a pas sur terre de mission de sauvetage à accomplir, ni de prosélytisme à faire : chacun prend son plaisir où il peut, et si certains rêvent d'être DRH chez l'Oréal, je n'ai rien à y redire, tant qu'on ne m'oblige pas moi à occuper ce genre de poste.


On peut déplorer l'injustice et la dureté du capitalisme, la recherche du profit pour le profit, l'exploitation de l'homme par l'homme, la destruction de l'environnement et des cultures traditionnelles, le productivisme, la financiarisation etc etc. Certes. Là encore, qui ne serait d'accord ? Là où le bât blesse, c'est que l'on prétende penser à la place de quelqu'un et savoir mieux que lui ce qui précisément lui convient. Les donneurs de leçons quels qu'ils soient témoignent d'une même pathologie : l'incapacité à admettre le réel, l'incapacité à concevoir l'altérité, le réel se manifestant d'ailleurs essentiellement par cette saleté d'autre qui toujours nous résiste, ah, le chien.

Une telle attitude porte plusieurs noms, selon le registre où on se situe : tentation totalitaire, défense psychotique, logique sectaire, autant de réalités qui ont à voir les unes avec les autres. Quant à vouloir éradiquer définitivement le capitalisme (antienne qui revient souvent, avec comme argument massue le fait de produire soi-même son électricité....), cette noble intention m'évoque surtout une vérité étonnament oubliée : loin d'être un paradigme, l'histoire de David et Goliath est surtout une légende. Biblique qui plus est.



Veuches zarbis

Les adeptes du non travail présentés dans le film suscitent un curieux malaise, dont l'origine se précise au fur et à mesure du film : ils sont interchangeables, dans leurs propos, leurs profils, leurs vêtement et leurs coupes de cheveux, tellement destructurées, tellement sursignifiantes. Ils font penser à ces ados unanimement piercés et tatoués, persuadés d'être ainsi uniques et originaux, lorsqu'ils ne font que s'aligner sur une panoplie dûment répertoriée dont ils ont en outre la prétention de penser qu'elle leur garantit une exceptionnelle qualité d'âme. Les ados défraîchis de « volem » vivent en groupe, idéologisent en groupe, mangent en groupe, parlent en groupe de sujets qui, nous aussi, nous passionnaient bien, quand on avait 15 ans (voler dans un supermarché, est-ce faire le jeu du capitalisme ou au contraire participer à son éradication ? Hein ?).

Il est assez farce de constater qu'ils sont bien plus proches qu'ils ne le croient des hommes en gris du capital, eux aussi placés sous le signe du troupeau et du système. Si l'homme en gris court avec le système, si l'homme aux cheveux longs et improbablement coupés prétend courir contre, il n'en reste pas moins que tous deux se réfèrent à la même chose, nébuleuse et fourre-tout. Comme si la réalité n'était que de cet ordre, comme si seuls existaient l'adhésion totale ou le rejet sempiternellement proclamé de cette chose indéfinie et proteiforme appelée système, cause selon les uns de tous les maux du monde, merveilleuse, nécessaire et darwinienne réplique de la loi du plus fort selon les autres. Il est vrai que le « système », le « capital », le « fric », conceptuellement parlant, ça ne mange pas de pain.



Caca boudin

Concentrons-nous sur le contenu du discours. Par delà les discussions de fond sur de vraies questions morales (« voler une meuleuse une fois par an, est ce pire ou moins pire que de voler de la viande toutes les semaines ? »), par delà la volonté de nier le désir de l'autre pour mieux lui imposer sa propre conception du bonheur (« si il y a encore des gens qui travaillent, c'est qu'ils ne savent pas qu'on existe. »), on remarquera avec intérêt que les propos se fédèrent tous autour d'un élément que l'on attendait pas vraiment : le caca. Oui, clairement, le caca fait chez l'alternatif l'objet d'une nette fixette. Autonomes, alters, écolos, tous vouent à l'excrément humain un culte remarquable. Le caca, déposé avec la foi qui convient sur l'autel de toilettes sèches, sauvera le monde de la pollution aquatique, de la lyonnaise des eaux, de l'immoralité, de l'expoitation et du capitalisme. Ben mon vieux ! Et si c'est le caca qui doit sauver le monde, on se demande bien à quoi sert la politique, comprise comme ce qui concerne la cité, le vivre ensemble. On se demande bien aussi à quoi sert la pensée.


Homo faber

Il n'est à ce titre pas anodin qu'un des interviewés revendique un retour au « vivant », à l'espèce, rejetant d'emblée les théories politiques. Il énonce là, sans doute sans le savoir, le fond du problème : ce dont rêvent en réalité les utopistes du film, c'est d'une humanité réduite au bios, à la satisfaction des besoins. L'homme hors du « système » est effectivement un vivant, un animal au sens strict du terme qui dénie la nature langagière et politique de l'homme définie par Aristote : animal politique et doué de logos, c'est à dire de langage et de raison. L'homme de la communauté militante, même s'il cause beaucoup, est quant à lui avant tout un homo faber, qui s'occupe à créer des outils. Un homme de la technique, donc, pas de la pensée pour la pensée.

Revenir au vivant, à l'amibe, vraiment, quel chouette projet. Pour avoir passé quelques vacances dans des endroits comparables à ceux montrés dans le film, je sais que le simple fait de se nourrir et de se livrer à de menues activités ménagères (lessive vaiselle balayage) dans les conditions décrites remplit facilement la journée. Le tout est de savoir si on veut vraiment passer le plus clair de son temps à des activités toutes dévolues à satisfaire son estomac et ses soirées à commenter ou répandre la bonne parole alternative. Certes, il est sûr qu'à tout prendre, cette vie-là vaut mieux que celle du rmiste urbain ghettoisé dans son hlm, avec tf1 comme lucarne sur le monde.

Pourtant, la glorification de la terre qui sous-tend le discours néo-bab peut avoir de curieux relents (la terre ne ment pas, tout ça), tout comme l'idée selon laquelle la sécu et la retraite pourraient être avantageusement remplacées par la solidarité du groupe une fois atteint l'âge des couches Confiance. Les vieux des campagnes françaises d'avant-guerre, inutiles, comme tels mis à la niche et traités comme des chiens, ne sont plus là pour dire ce qu'il en était, de la solidarité du groupe quand on ne sert plus à rien dans un monde uniquement dévolu à satisfaire les besoins biologiques de l'homme.


Publié dans Analyses

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M
Dites moi ce que vous n'avez pas compris je me ferai un plaisir de m'expliquer... en ce qui concerne le caca qui semble vous attirez plus que n'importe quel autre objet, je vous conseille la lecture de "la recherche de la fécalité" de Monsieur Antonin A. ou bien la (re)lecture du cas du petit Hans dans les 5 Psychanalyses de Monsieur Sigmund F.<br /> à tout bientôt pour de nouvelles aventures...<br /> P.S.: j'aimerais développer cette critique de P.bourdieu pour comprendre enfin ce que ses détracteurs ont contre lui...
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M
bonjour, <br /> Je réponds à votre article sur les films de P.Carles car les raisons que vous évoquez pour justifier votre critique sont à mon avis plus proche du ressentiment que de la critique filmique. Et vos jugements sur les "alternatifs" et "néo-bab" met en lumière l'esprit de votre commentaire, vous confondez votre expérience malheureuse des milieux dits "alternatifs" et le propos d'un film. <br /> Vous faites preuve d'indigence quant à vos raisonnements. Au lieu de chercher dans les faits les idées qui en seront la synthèse, vous venez avec un certain nombre d'idée, des préjugés, et vous tordez les faits pour les justifier. <br /> Il est très actuel de vouloir "désacraliser" P. Bourdieu encore que pour cela il eût fallu le sacraliser... "sacraliser", drôle d'expression... c'est le style journalistique... je dis style alors<br /> que les courtisans en général n'ont pas de style, mais uniquement des manières. Que reproche-t-on à cet homme, ces enquêtes sociologiques ? son rapport au média ? peut-être d'avoir fait de la sociologie une machine de guerre, on peut reprocher à P. Bourdieu d'avoir fait de sa discipline un outil critique et être un intellectuel de variété, disons un cuistre, ce n'est pas incompatible. Il ne faut pas confondre sociologie et comptabilité. De là le titre du documentaire de Pierre Carles, et que l'on puisse être admiratif de quelqu'un n'est pas une maladie en soi, c'est un signe d'altérité. Vous parlez d'un film de "pure idéologie bourdivine", je vois plutôt le style habituel de Pierre Carles, c'est-à'dire l'absence de style au profit d'une méthode pour filmer, plus proche des films du dogme, mais avec une radicalité nouvelle, une politisation des sujets abordés. Suit votre analyse au sujet du fonctionnement psychologique de Pierre Carles, très bon... et évidemment votre pensée va d'écueil en écueil... et, ironie du sort, vous réglez vos comptes avec les "néo-bab" et autres gens mal coiffés... enfin pour vous dire que vous avez le "style" journalistique, le conservatisme arrogant. Le contenu de vos propos n'ont d'utilité que d'un point de vue mondain, vous pourriez écrire des rubriques à Télé rama ou bien dans les inrockuptibles.<br /> P.S.: Excusez mon humeur chagrine de ce matin, humeur qui partage la même étymologie que humour... En parlant étymologie il est important de tenir compte de la nature du mot, ça a du sens.
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Z
<br /> Cher Morgan, merci, merci, merci mille fois.<br /> Je vous baise les pieds de reconnaissance et de gratitude : depuis le temps que j'attendais ce genre de commentaire et que rien, mais rien, ne venait, oui, je peux le dire maintenant, je<br /> déséspérais. Enfin un vrai commentaire polémique, pertinent, argumenté, plein de sens et et de vraie méchanceté qui touche juste là où ça fait hypermal. Me dire par exemple que je pourrais être<br /> journaliste à téléramiche ou aux inrocks, putain, comment je l'ai mal pris.....D'autant que ces deux magazines adorent Bourdieu et Pierre Carles, et que ce que j'ai écrit n'aurait jamais pu y être<br /> publié, ce qui rend votre perfide remarque encore plus percutante. Je n'ai personnellement vécu aucune expérience malheureuse avec les tenants de l'alternativisme, je n'ai fait que m'ennuyer<br /> profondément en leur compagnie (les discussions philo sur le caca, ça me fait vite chier, ha ha), ce qui n'est en soi, vous le reconnaîtrez, pas vraiment très grave. Sinon, ils font bien la soupe<br /> aux orties et la cuisine, en général. Mais bon, bizarrement, ça ne m'a pas suffit pour les trouver intéressants. Pour le reste de vos remarques, j'avoue ne pas avoir tout compris, rapport à mon QI<br /> sans doute, qu'est un peu indigent, contrairement au vôtre. Quoiqu'il en soit, vous me voyez ravie d'avoir enfin lu un commentaire si tellement pétri d'humeur et surtout d'humour, que je m'en suis<br /> tenue les c$otes de rire pendant au moins cinq minutes. Merci, Morgan, merci. Surtout, ne changez rien.<br /> <br /> <br />
N
J'ai l'impression qu'il s'essouffle un peu le Pierre Carles...<br /> Disons que maintenant, le ras-le-bol est plutôt généralisé, et que par conséquent monsieur Carles n'a plus grand chose à dire qui n'ait déjà été dit. Seulement, il le dit à sa façon (et dans la veine Charlie Hebdo), sans limites formelles.<br /> <br /> Son dernier film (Choron Dernière, centré sur le fameux professeur Choron et sur quelques autres détails) est pas brillant brillant non plus, même si c'est pas vraiment fait du même bois.<br /> Par contre on sent bien les images soigneusement choisies, et on découvre très (très très) vite Carles apprécie, et qui il n'apprécie pas. Ceux qu'il ne tient pas en bonne estime (Philippe Val, entre autres) ont droit à des images pas très flatteuses. Documentaire purement subjectif.
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