Comme une image

Publié le par zarzuela

Autoportrait


Le thème de « Comme une image », film d'Agnès Jaoui est connu, exprimé tel quel par les auteurs : il y est question des jeux de pouvoir, déclinés au sein de la famille, et dans certains microcosmes parisiens : l’édition, le cinéma, les chauffeurs de taxi. Ce que nous appellerons avec un brin de causticité la bonne qualité du film ne fait pas de doute : comme disent si bien les critiques, les acteurs sont excellents (renversante Marilou Berry !), les dialogues font mouche, et l’analyse psychologique est fine et percutante. C'est beau comme du Eva Betan.
Autant de jugements métonymiques (la spécialité du jour) qui s’ils ne mangent pas de pain en termes de critique, nous laissent pourtant un peu sur notre faim. Car la critique se doit de commenter et d’analyser un tout, ce tout incluant entre autres l’impression évidemment subjective ressentie par le spectateur.



En l’occurrence, ici, un certain malaise, étrangement indépendant du plaisir pris à cette agréable comédie de mœurs. Rembobinons : un écrivain connu et caractériel tyrannise son entourage, une femme, une grande fille, un homme à tout faire quasi-émasculé, un chauffeur de taxi. Un écrivain moins connu, et donc encore sympa pour la simple raison qu’il n’a pas encore de succès, se satellise dans ce système solaire. Par mimétisme (ah, tiens, il commence à avoir du succès, lui aussi), il va se métamorphoser, de type à la coule en sale con, prêt à endosser le personnage de son ancienne idole dont il est désormais le presque semblable, et de ce fait le rival. La logique du film est donc éminemment morale, puisqu’il s’agit de trier le bon grain (ceux qui résistent au despote) de l’ivraie (les lopettes qui lui disent amen, comme le chantent le choeur présent dans le film). Et en soi, je trouve toujours ça un peu gênant, une morale, dans un film.


Cassard est sympa

Ce qui entre autres nous démange entre les orteils, ce sont les choses qui apparaissent sans qu’on nous les dise : tu me rétorqueras avec raison, lecteur joli, que telle est par définition l’essence de toute œuvre d’art. Certes. Mais concernant un film dont l'ensemble du propos, pour ne pas dire le message, est souligné en rouge, ces implicites semblent avoir d'autant plus échappé à l’attention des auteurs qu'ils s'opposent à la teneur même dudit "message".

Parmi ces implicites qui suintent perfidement à l'insu du propos global, citons  la sympathie que suscite l’écrivain mal embouché. Car Etienne Cassard est quelqu’un de drôle et d’intègre, deux qualités, qui certes, exigent chacune à leur manière un bon petit fonds de dureté et de méchanceté, mais qui le rendent plaisant.

La question se pose, là encore en filigrane contradictoire : et si les autres se laissaient maltraiter par lui, non pas parce qu’il a du succès, mais simplement parce qu’il est charismatique, chef de clan misogyne mais protecteur, imbuvable mais drôle, égoïste mais intègre ? On ne peut s’empêcher de penser à un autre film, mettant brièvement en scène le même type de personnage : « Rien sur Robert », de Pascal Bonitzer, dans lequel Michel Piccoli incarne un écrivain dictatorial entouré d’une cour de folles perdues, mettant à mort le temps d’un repas un Lucchini égaré par hasard dans sa demeure. Là, on a de la vraie cruauté : comme le chat qui joue avec la souris, Piccoli humilie quelqu’un qui par hasard se trouve sur son territoire, qui ne lui est acquis ni affectivement, ni intellectuellement. C’est un acte gratuit, authentiquement libre si l’on se fie à certaine tradition philosophique.

Dans Comme une image, en revanche, aucune gratuité dans les sarcasmes de Bacri : il ne fait que se conformer aux attentes masochistes de ses victimes, qui grosso modo, sont toutes de la famille. Lorsqu’il se risque à humilier un personnage extérieur, c’est monsieur Tessier, vilain symbole sur pattes de la mondialisation qui fait tant de mal à la culture, si vivante en France, n’est-ce-pas.

Et là encore, Agnès Jaoui nous fait passer un message univoque : Cassard, c’est la résistance gauloise à l’envahisseur américain, Cassard, c’est elle. Pris dans les rets de l’affectif et de l’altermondialisme version micocosmique parisianiste, le personnage de Cassard, le pauvre, a bien du mal à exister librement.



Se peindre soi-même

Et si les Ba-Ja, à longueur de films, ne faisaient que leur auto-portrait, tiraillés entre ce qu'ils sont et ce qu'ils voudraient être, entre leur apparence, leur réputation, et leurs débats intérieurs ? Il est en effet toujours question de changement chez les personnages. Ceux qui ont l’air sympa se révèlent être de pauvres types trop sensibles à la façon dont ils sont perçus par les autres, tandis que les pauvres types se révèlent être bien braves, humains, authentiques, c’est-à-dire se fichant de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes.

A l’exception d’Un air de famille, la question de la reconnaissance médiatique, du succès, est toujours présente, corollaire inévitable et fruit espéré de toute activité de création "culturelle". Le fait que j'emploie spontanément ce terme concernant Bacri et Jaoui n'est pas anodin. Il ne me viendrait pas à l'idée de parler de création culturelle à propos d'Almodovar ou de James Gray, par exemple. Si je le fais ici, c'est que les Ba-Ja semblent faire des films totalement adaptés aux lecteurs de Télérama, journal culturel s'il en est. Et que leurs films ont toujours ce petit côté bien-pensant de gauche, cette petite morale gonflante qui caractérise de façon quasi automatique le milieu de la culture.

Bref, quoiqu'il en soit, les comédiens dans Le goût des autres, l’homme de la télé dans Cuisine et dépendances, l’éditeur dans Comme une image sont tous soumis à cette dure réalité : le succès, c’est mal. Le succès, ça vous transforme en lavette qui n’ose pas dire qu’elle n’aime pas le lapin, ça vous oblige à passer chez Ardisson, et ça brise vos relations amoureuses et amicales. Le succès, ça fausse tout, ça vous détruit l’authenticité.

Si l’on se fie à ces fils conducteurs qui traversent les films d’Agnès Jaoui et qui sont biaisés par certains éléments implicites qu'elle semble ne pas contrôler, elle, la réalisatrice phallique, qu’en conclure, si ce n’est qu’elle parle d’elle-même ? Mais où que c'est donc qu'elle est, l’intégrité ? semble-t-elle se demander à chaque fois en écho.

Tel est en effet le dilemne : comment être dépendant du regard de l’autre (définition même de l’acteur) et des jugements socio-snobs, tout en préservant sa réputation d’authenticité, de "je-ne-mange-pas-de-ce-pain-là-moi-madame" ? Notons au passage que l'intégrité réelle et la réputation d'intégrité ne sont pas tout à fait ma même chose, et que ceux qui mettent systématiquement en avant leur inaptitude au compromis ont souvent deux-trois choses et même davantage à mettre sous le tapis en matière de petits arrangements médiatiques. Les gens qui ne se compromettent pas n'éprouvent jamais le besoin de centrer leur discours sur ce thème-là en particulier.

Oui, le problème d’Agnès Jaoui, c’est bien son image : elle confiait récemment à Psychologies-magazine qu’elle ne s’imaginait pas ne pas tenir un rôle dans les films qu’elle écrit. Son image, liée à celle de Jean-Pierre Bacri, c’est celle d’un couple intègre, justement, qui sait en même temps slalomer entre la couverture de Télérama, celle de Psy-mag et Ardisson.

Un questionnement très narcissique, au fond, mais pas déshonorant. Encore faut-il parfois être au clair avec ses propres motivations.

Publié dans Analyses

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
G
Hep<br /> bienvenue dans la communauté nawakesque !<br /> Au plaisir !<br /> Bon boulot en tout cas ce blog<br /> Ged / PWAH !!
Répondre
:
Bienvenue dans la communauté Ciné DVD !<br /> Bonne journée<br /> Seb
Répondre