Green days

Publié le par zarzuela foutrax

Gross lourdeur

 

La Makhmalbaf film house a sa cadette, Hana. Hana est une enfant prodige du cinéma, ayant fait son premier long métrage à l'âge de 17 ans, comme elle ne manqua pas de le rappeler lors de la projection de son dernier film au Forum des images. Voici donc Green days, réalisé par une jeune fille de vingt ans, film évoquant la dernière élection iranienne et ce qui s'en est ensuivi.

 

Docu-fiction symbolique

Trois types d'images sont mêlées : les films de la répression des manifestants, tournés au téléphone portable, disponibles sur Youtube. Une « fiction » relatant la dépression d'Ava, jeune femme qui disparaît complètement derrière le symbole qu'elle porte, incarnant à elle seule l'ensemble de la jeunesse iranienne, à bout de souffle et de nerfs, désabusée et emplie d'espoir. Des images semi documentaires enfin montrant Ava qui arpente les manifestations de soutien pré-électorales, interviewant des inconnus, montant dans leurs voitures pour discuter avec eux. Il est difficile de critiquer un film au si noble propos, qui parle de l'aspiration d'un peuple à la liberté et à la démocratie. Il est difficile d'avouer son irritation devant le pathos qu'entraîne chez une jeune fille l'émotion liée au destin de son pays, voix qui se brise et foulard vert ostensiblement arboré. Et pourtant, un sujet ne fait pas un film.

 

Green+Days+Photocall+66th+Venice+Film+Festival+MPicXqP4xISl


L'usage du symbole, qui avait plutôt bien réussi à Hana Makhmalbaf dans Le cahier, ne se dépare ici jamais d'une pénible lourdeur. Ava en comédienne mettant en scène la répression étatique m'a fait penser à une pathétique pièce de théâtre vue en Tunisie où de pauvres comédiens jouaient pendant une heure les mains attachées dans le dos, manière de marquer leur état de victimes d'une dictature. Genre gross finesse. Dans Green days, Ava cuve sa dépression en faisant jouer des comédiennes la bouche fermée d'un scotch (gross finess encore) et en nettoyant les escaliers de son immeuble, équivalent imagé d'un adage du genre « Il faut faire le ménage politique et c'est à nous seuls, jeunes iraniens, qu'incombe cette lourde tâche ». Lourdingue surlignage, qui nous rappelle qu'Hana Makhmalbaf est, avant d'être réalisatrice, une adolescente révoltée, avec tous les effets que cela entraîne : impression de fatigue chez le spectateur devant des propos attendus, tant sur le forme que sur le fond. Idem pour les images de répression, passées en boucle dans le film. L'insistance, toujours l'insistance, et la lassitude qu'elle provoque.

Faire un documentaire assumé sur ces journées particulières, voilà qui eût été plus intéressant que cette bien trop didactique docu-fiction. Le propos se trouve dévié, alourdi, par le personnage d'Ava qui sempiternellement, complaisamment, laisse couler ses larmes. Et les questions qu'elle pose à ceux qu'elle rencontre pendant les manifestations (toujours les mêmes « Pour qui votez-vous et pourquoi ») n'apportent rien au propos, voire l'affaiblissent.

 

Méthode rouée

Je m'interroge donc : pourquoi la méthode Makhmalbaf trouve-t-elle ici ses limites ? Par méthode Makhmalbaf, j'entends une espèce de culot physique, qui ne recule pas devant une forme de manipulation rouée ; dans Salaam cinéma, Mohsen, le père d'Hana, organise un casting géant qui se révèle après coup être l'objet et le sujet même du film. Au dit casting afflue une masse d'aspirants acteurs qui de ce fait se trouvent mis à sa disposition, ce qui lui permet entre autres de torturer perversement quelques jeunes filles soumises à d'impossibles questions. La tout puissance du metteur en scène trouvait là une expression intéressante et entièrement assumée. Ce mélange de rouerie et de toupet produit par ailleurs dans Salaam cinéma un saisissant effet de vérité concernant l'état du pays et de ses habitants.

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En Afghanistan où la famille Makhmalbaf s'est ensuite exilée, cette méthode appliquée à une population pour qui l'image n'existe absolument pas a donné des films mettant femmes et surtout enfants à l'honneur. Ceux-ci, ignorants de par leur culture qui proscrit l'image et de par leur jeune âge, sont très bien castés et très bien dirigés. Le décalage immense qui existe alors entre les acteurs et les réalisateurs sert précisément de levier au film, les enfants représentant une « matière » malléable exprimant des idées qu'ils ne sont pas en mesure d'appréhender par eux-mêmes.

 

Dans les deux cas, il existe donc un décalage, soit entre le réalisateur et ses jeunes acteurs afghans, soit entre la forme du film et son propos : montrer l'état de l'Iran en filmant un casting est une bien meilleure idée que de montrer l'Iran en filmant directement les iraniens. Green days manque de ce décalage, la coïncidence entre le sujet implicite du film et sa forme explicite empêche justement le sujet d'être vraiment traité. Hana n'est pas extérieure à ce qu'elle filme, d'une certaine façon, c'est elle-même qu'elle met en scène. Pour autant, elle n'assume pas cette place, préférant faire intervenir le personnage d'Ava pour la représenter. Peut-être eût-il mieux valu, quitte à ce qu'elle n'aie aucune distance avec son sujet, qu'elle en fasse un parti-pis plutôt que d'introduire une pseudo distanciation via Ava.


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Les « acteurs »de Green days (si on excepte Ava, qui apparaît surtout comme un personnage fantôme, réduit à n'être que le porte-parole des états d'âme d'Hana), adultes et jouant leur propre rôle, ont une autonomie qui empêche la méthode Makhmalbaf de s'exercer vraiment. Par ailleurs, prétendre considérer la jeunesse iranienne dans son ensemble est un obstacle en soi : le tout protéiforme que constituent les jeunes iraniens ne se laisse pas appréhender comme le fait un individu, enfant qui plus est.

Ne restent donc que les bonnes intentions du film, tellement visibles qu'elles le décrédibilisent. L'implication d'Hana, l'absence de distance qu'elle refuse de revendiquer, la poussent à faire un film militant, autant dire un film qui tombe à plat. Le petit génie a bien 20 ans, c'est somme toute plutôt rassurant.

Publié dans Chroniquettes

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G
<br /> Je n'en tire pas une fierté en particulier, et je n'arrive jamais à tout lire. Le jour où je devrai sacrifier un abonnement, ce sera probablement celui là.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> J'ai le DVD et j'ai même aussi celui des parapluies de Cherbourg. Et pourtant, je ne suis pas du tout amateur de comédies musicales. Une offre de télérama (comment je place que je lis un magazine<br /> culturel !)<br /> <br /> <br />
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Z
<br /> <br /> Ceci signifie donc que tu es abonné....Voilà qui a au moins l'avantage de te fournir en chouettes dvd ! (je n'ai pas une passion pour télérama en particulier et les magazines culturels en<br /> général...)<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> C'est bien ce qu'il me semblait. Je n'ai pas une culture cinématographique aussi développée que la tienne, mais j'ai quand même quelques bases.<br /> <br /> Encore que, j'ai vu pour la première fois les demoiselles de Rochefort il n'y a pas si longtemps finalement.<br /> <br /> <br />
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Z
<br /> Comment, ce chef d'oeuvre de la comédie musicale française ! Si tu as des enfants ds ton entourage, tu peux leur acheter le dvd, ils adorent, filles comme garçons; C'est assez étonnant d'ailleurs.<br /> Sinon, je te rassure, ma culture ciné est relativement limitée, il y a énormément de films culte que je n'ai jamais vus....<br /> <br /> <br />
G
<br /> Je te rajoute à mes favoris.<br /> <br /> Madame Dame, c'est un hommage à Jacques Demy ?<br /> <br /> <br />
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Z
<br /> Oui, tout à fait, la mère des jumelles qui reste seule pour avoir refusé un prétendant au nom ridicule, ça me arle !!!<br /> <br /> <br />
G
<br /> Je te découvre via les connards et j'admire tes critiques très élaborées.<br /> <br /> Je redécouvre même des films que je connais pourtant bien comme "Marnie".<br /> <br /> Beaucoup de films iraniens ces derniers temps, beaucoup plus qu'avant en tout cas. Je n'ai vu que "les chats persans" pour ma part que j'ai beaucoup aimé.<br /> <br /> Continue !<br /> <br /> <br />
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Z
<br /> Olà, Guigui !!! C'est rigolo ce transvasage d'un blog à un autre ! Merci pour ton commentaire, ça fait plaisir d'avoir un retour sur ce qu'on tape sur son clavier le soir à la chandelle, après être<br /> sorti d'une quelconque salle obscure...A bientôt chez les connards ou ailleurs !<br /> <br /> <br />